samedi 28 mai 2016

La petite chaise...

C’est une petite chaise. Tout ce qu’il y a de plus ordinaire. Un bois plutôt clair, tâché par endroits. Quatre pieds bien solides, qui ont vaincu les années. De vieilles sangles, qui ont l’air plutôt sales, mais difficiles à nettoyer. Et puis une petite tablette, sur le devant, qu’on ne peut pas enlever. Et un boulier. Cinq perles délavées, le long d’une petite barre en métal. 

Une petite chaise, comme il en existe beaucoup. Enfin, plus aujourd’hui. C’est vrai, maintenant les tablettes sont amovibles. Interactives. Bourrées de technologie. Les assises sont réglables, lavables, et d’un prix inestimable. Mais la valeur de cette petite chaise dépasse le prix de toutes les autres. 

Elle en a vu passer des derrières langés. Des premières purées de carottes. Des batailles d’épinards. Les millions de grains de semoule qui tombent de la cuillère. Les crises devant les haricots verts. Les premières glaces, les premières tâches, les coups de fourchette et les éclats de rire…

Elle était rangée là, au fond du garage. Il a fallu la retrouver. La sortir. La dépoussiérer. La retaper. La repeindre. La vernir. La nettoyer. La décaper. Resserrer les vis. Vérifier la stabilité. Gratter les sangles. Se souvenir aussi. Ou s’imaginer. Penser. Réfléchir. Faire un bond dans le temps.
C’est une petite chaise, qui pourrait tout rapporter. La vie de famille nombreuse, l’agitation permanente, les légumes du marché, et le linge que l’on met à sécher. La colère, les injustices, l’arrivée de la télé, les disques de Maxime Le Forestier, et les grandes sœurs qui viennent aider… Les vacances en famille, les visites chez mamie, les bavoirs dégoûtants, et les jouets en bois… Les petits doigts de Dominique, sur les boules du boulier, et ceux de sa fille Bénédicte, quelques années après… Aujourd’hui c’est Antoine qui peut en profiter.

Bien sûr, quand on devient maman, la vie est bouleversée. La vision du monde change, les certitudes sont envolées… Quand on devient maman, on devient une autre. Plus belle peut-être, plus sûre sans doute. Plus prête à affronter la vie, car on l’affronte pour deux, plus apte à protéger des vies, car on protège ce qu’il y a de plus cher à nos yeux… 

Quand on devient maman, on redécouvre la sienne, à travers ces objets magiques, qui explorent le temps, et parcourent les années, sans jamais oublier…



samedi 30 avril 2016

N'brik...

Il avait poussé la porte de sa maison. Doucement. Comme s’il ne fallait réveiller personne. En pleine nuit, il avait pris quelques affaires. Son lecteur Mp3. Un peu d’argent. Une autre paire de chaussure, quelques biscuits, un ours en peluche. Il fallait partir. Maintenant.

Dehors, il ne faisait pas vraiment froid. C’était l’été de toute façon. Il avait quand même pris un gilet. Qui sait vraiment quel temps il fait là où il va. Mais d’ailleurs où va-t-il ? D’un pas pressé, il avait pris la route, en direction de la sortie du village. Le moindre bruit le faisait sursauter. L’éclairage public ne fonctionnait plus depuis longtemps. Heureusement, la lune était pleine, et semblait vouloir le guider. Les battements de son cœur faisaient un bruit assourdissant.

Tremblant d’angoisse, il avait pris le petit sentier qui l’éloignait de la route principale. Quelques buissons, pour se réfugier, au cas-où. Pour se cacher. Depuis tant d’années, il avait fini par ne plus comprendre qui était vraiment l’ennemi. Du haut de ses dix ans, il savait seulement qu’il n’était pas né au bon endroit, au bon moment. Mais il n’en voulait à personne. Ou alors juste à la folie des hommes, peut-être. Mais lui, ne pouvait rien y faire. Rien y changer. Il voulait juste fuir. Le plus loin possible.

Il fallait encore traverser le deuxième village. Etaient-ils aussi passés par là ? Avaient-ils fait de cet endroit un nouveau quartier général ? A cette idée, un frisson glacial lui avait parcouru l’échine. Mais il n’avait pas le choix. Contourner le mettrait terriblement en retard. Il avait pressé le pas, comme pour se mettre au rythme des battements de son cœur.

Le village était désert. Peut-être seulement en apparence. Il restait prudent, attentif au moindre indice, au moindre bruit. Encore la maison de la dame aux épices. Le potier. L’écurie. Ca y est, il quittait ce lieu qui lui semblait hanté. Pourtant, il avait tant joué ici, à faire du vélo, à embêter les vieux assis sur leur banc, sur la petite place du village. A faire des batailles dans la fontaine. A rire, comme des enfants. Mais ici, et maintenant, on n’avait plus vraiment le droit d’être un enfant…

Au loin il avait entendu la mer. Le bruit des vagues. Elle semblait calme, peut-être que la chance avait tourné. Il avait repensé à ces moments passés sur là-bas. A faire des châteaux avec son papa. A aller chercher des coquillages avec sa tante. Il s’était souvenu de ces moments où on pouvait traîner dans le sable, se reposer sur une plage, sans avoir peur du lendemain. Il s’était rappelé d’un «n’brik », glissé par sa maman, au creux de son oreille, un soir de juin, sur une immense serviette. De l’eau avait coulé sur ses joues. D’un geste rageur, il s’était essuyé les yeux. Il avait besoin de toutes ses capacités visuelles pour repérer les passeurs. Là-bas, des ombres s’agitaient, autour d’un radeau de fortune. Il était sauvé…

Il avait poussé la porte de sa maison. Doucement. Laissant derrière lui l’horreur. Le crime. Le sang. Les corps de ses parents, gisants au milieu du salon. Assassinés par ceux qui avaient oublié que sa religion prônait l’amour du prochain.
Il avait poussé la porte de sa maison. Doucement. Comme pour les laisser dormir, paisiblement. Comme ils ne l’avaient plus fait depuis tellement longtemps…

lundi 4 avril 2016

Le chemin des écoliers [Partie 2]

Dans l’appartement. 

C’est dit. Les chats détestent les régimes. Enfin, Aragorn déteste les régimes. Il est pénible. Ultra pénible. Mais tu vas t’enlever de mon ordi oui ? J’essaye tant bien que mal de préparer mes leçons du lendemain, malgré l’énorme masse poilue qui envahi mon clavier d’ordinateur. J’abandonne. Je n’atteins même pas la lettre Q. Tant pis. De toute façon à quoi bon ? Demain je n’aurais pas le temps de faire la grammaire, car la compréhension du texte aura pris plus d’une heure. Comme Laurie n’aura pas ses affaires, nous perdrons un quart d’heure à expliquer comment faire lorsqu’on manque de matériel. Et puis on changera à nouveau de place, parce que ça bavarde trop, et que ce serait vraiment trop simple de les laisser toujours au même endroit pour mémoriser les prénoms… Je n’avais jamais remarqué à quel point j’étais blasée en fait. 

Pour mettre à profit mon temps libre forcé, j’envisage de ranger l’armoire du couloir. En ouvrant le premier battant de porte, une chose informe et beige me tombe dessus. Oh, mon chapeau de soleil ! Quelques grains de sable accompagnent sa chute. Il est loin le temps des longues marches sur les plages, au petit matin. Mon petit mobil-home dans le camping de Kernovan. Les roses trémières. Les parties de pétanques. Les longueurs à la piscine, juste avant le plateau de fruits de mer. La mer me manque. Ma mère aussi d’ailleurs. Mais il est trop tard pour un coup de fil. Et je n’ai plus aucune envie de ranger. Le cœur un peu gros, je rejoins mon grand lit vide, mes horribles draps aux motifs de célibataire et je plonge dans un sommeil peuplé de petits monstres aux stylos verts.


                                                                           2

Paul n’a jamais aimé l’Alsace. Culinairement parlant déjà. La choucroute : quelle hérésie ! Le baeckeoffe : une abominable mixture au goût trop prononcé de mouton. Et puis la météo. Un ciel gris les trois quarts de l’année, de la pluie le reste du temps… Et puis, malgré la diversité des paysages, il déteste plus que tout le manque de diversité de certaines mentalités. 

Alors, lorsque son patron lui a proposé une opportunité de carrière à ne pas manquer, Paul était à mille lieues d’imaginer que son destin le guiderait dans la région de France qu’il aime le moins. Lorsqu’il a entendu le mot « Strasbourg », il a pensé à son collègue Denis qui devenait papa pour la quatrième fois, à Chantal et sa maman gravement malade, il a regardé sa vie à lui, et il s’est dit qu’il ne pouvait pas leur faire ça. C’était à lui de partir pour cette mission d’un an dans l’est, aversion pour les knacks ou pas. 

-    Vous verrez, mon cher Paul, vous ne le regretterez pas ! 

Mais assis dans le train qui l’arrachait à sa Savoie natale, devant son sandwich triangle jambon-plastique-beurre, il regrettait déjà. 

[A suivre]

dimanche 3 avril 2016

Le chemin des écoliers [Partie 1]

Dans le bureau. 

Dernière soirée. J’éteins mon ordinateur. Déjà vingt-deux heures. J’avoue, je n’ai pas très envie. Pas motivée à retourner dans le bruit. L’agitation. Les collègues qui râlent. Pas vraiment impatiente, malgré l’odeur des cahiers neufs, et du parquet ciré.

Je crois que je n’aurais jamais dû être prof. Je ne suis pas faite pour ça. Oui, j’aime le contact avec les enfants, j’aime transmettre. Mais je déteste les réunions. Travailler à la maison. Bosser en équipe. Ou alors il faudrait que j’aille travailler en classe unique, dans une petite école au fin fond de la campagne. Ca signifierait quitter la ville. Plutôt mourir.

Dernière soirée. Demain j’y retourne. C’était bien les vacances. La Bretagne, ses plages de galets, ses côtes rocheuses. J’ai pris des photos pour ma séance de géographie. En fait on ne s’arrête jamais. C’est ça qui m’insupporte je crois. Impossible de laisser des dossiers à l’école. On transporte tout, dans son sac, dans sa tête, on est surchargé, en permanence.

Du haut de ma chaise de bureau, j’observe Aragorn. Lové en boule sur la petite table basse du bureau, il n’a pas l’air très compatissant. Il ouvre un œil, me regarde d’un air de dire : « Allez Lucie, ce n’est pas ta première rentrée ! ». Il a raison, bien sûr, et ça m’énerve encore plus. Il est vraiment énorme, endormi comme ça. Je crois que je vais le mettre au régime…


Dans la chambre à coucher. 


Je me demande pourquoi j’ai acheté ces nouveaux draps. Ils sont laids. Vraiment. Et puis pourquoi j’avais besoin de nouveaux draps aussi. Personne pour venir les admirer. Personne pour venir les réchauffer. Des hommes, j’en ai croisé beaucoup bien sûr. Mais ça s’est toujours terminé sur le canapé. Au salon. Même pas prendre la peine de visiter. Dés fois qu’on pourrait s’attacher. Réveil programmé à sept heures trente. De toute façon, je ne prends pas de petit-déjeuner. Demain, c’est la pré-rentrée. Je soupire. J’éteins.


En salle des maîtres, le lendemain. 

-    Salut ! Tu es encore toute bronzée ! Allez on se fait la bise !

Au moins une fois durant l’année scolaire. Non pardon, je suis médisante, on s’embrasse pour la nouvelle année aussi. Bref. Je suis contente de retrouver certaines têtes. D’autres un peu moins. De toute façon me laisse-t-on vraiment le choix ?

Ca râle déjà, pour la photocopieuse qui n’est pas assez rapide. Pour les travaux qui ne sont pas terminés. Pour Kévin qui a encore été changé de classe. « Tu ne te rends pas compte, j’avais fait toutes mes étiquettes moi ! ». Mais au fond, une certaine bonne humeur règne dans la minuscule salle qui nous sert de QG. La grande table pour poser nos douze derrières lors des conseils des maîtres, ou pour ceux qui restent à midi. Le micro-onde unique (et propre en ce jour de rentrée). L’évier. Le meuble avec le massicot.

Je jette rapidement un coup d’œil à mon téléphone portable. Deux nouveaux messages. Ma mère bien sûr. Qui ne raterait ma rentrée pour rien au monde. Même en allant s’installer avec mon père à mille kilomètres de là. Et ma meilleure amie. Julie. Et pourtant elle, elle n’est pas prof. De toute façon je n’ai aucun ami prof. Il n’y a pas pire qu’un prof. Pas plus insupportable. Pas plus énervant. Au boulot d’accord, je ne peux pas vraiment faire autrement. Mais en dehors… Beurk !


En classe. 

-    Plus tard, je voudrais être astrophysicien.

Grande première de ma courte carrière. Enfin courte. Huit ans ce n’est pas si mal. Bref. Grande première. Un enfant qui a une grande ambition. Autre que pompier ou princesse. Et qui connaît un mot dépassant trois syllabes à l’entrée au CE2. Je décide donc de creuser.

-    Quelle bonne idée ! Peux-tu expliquer aux autres enfants de la classe en quoi ça consiste ?
-    Eh bien, c’est comme mon papa. Il est dans le magasin, il trie les commandes, et les range au bon endroit.
-    …

Oui alors ça, mon bonhomme, c’est magasinier. L’année scolaire va être longue. Je soupire. Mais je décide de ne pas lui casser son rêve. Pour couper court à la conversation, je les lance sur un petit défi de calcul. Ils sortent leur ardoise, pour ceux qui ont déjà leur matériel, pour les autres, je règle l’affaire au cas par cas.

-    Prend ton cahier d’essais.
-    Je n’en ai pas.
-    Qu’est-ce que tu as alors ?
-    Une trousse.
-    C’est bien. Et pour écrire ?
-    Un stylo.
-    Oui mais pour écrire dessus ?
-    Rien.
-    Ah.

Je sors des feuilles. Ca y est. Ils sont tous au travail. Je profite de ces quelques minutes de calme pour les observer. Il y a la petite Eva. Timide. Mais j’ai déjà repéré la petite lumière dans son regard. Elle n’aura pas beaucoup besoin de moi cette année. Mais promis, je l’aiderai au moins à s’épanouir. Il y a Maël. Et ses petits yeux en amande. A croquer ce bonhomme. Son pantalon est trop court et ses chaussettes dépareillées. A surveiller de près. Il y a le petit nouveau aussi. Stéphane. Une tête de voyou. Mais il y a bien longtemps que j’ai arrêté de juger les enfants. Après tout, ils sont juste l’image que les parents veulent bien nous montrer. Des petits personnages des romans de leurs familles. Mais au fond d’eux, ils savent aussi nous dire qui ils sont. Il suffit de les mettre en valeur.

-    Maîtreeeeesse, on fait quoi quand on a fini ?

Ah oui. Ca ne m’avait pas spécialement manqué ça non plus…





[A suivre...]

samedi 1 août 2015

Vingt-trois heures trente, sur l’A6.


-    Ça se calme un peu apparemment. Le fameux « chassé-croisé » de l’été, comme ils disent. Moins de clients. Moins de bruits. Moins d’énervement aussi. J’aime bien bosser de nuit moi. Y’en a qui disent qu’ils ne pourraient pas. Moi, ça ne me gêne vraiment pas. Au contraire. 

Tu vois ce que j’aime, c’est l’odeur du café. Ce café de machine, un peu dégueulasse que les gars viennent prendre en pleine nuit dans l’espoir d’ingurgiter un semblant de caféine. Ouais, cette odeur-là, un peu âcre mais tellement réconfortante. J’me demande si c’est pas c’t’odeur qui me fait continuer en fait. 

J’étais là, à mon comptoir. J’venais de facturer le plein d’un motard je crois. Un grand type à l’allure fort sympathique tu vois, genre cheveux longs, tatouages mais pas méchant pour deux sous. Un mec bien, forcément. Bref. Elle est entrée. Enfin pas vraiment tout de suite. Elle a failli pousser la porte et elle a fait demi-tour. Mais moi j’ai bien vu ses longs cheveux bruns ondulés, et ses courbes si parfaites. Je l’aurais repérée entre milles, j’te jure. 

J’ai cru qu’elle était repartie parce qu’elle m’avait vu. Mais elle est revenue, avec un tout petit bébé dans les bras. Un petit machin qui hurle, enfin celui-là il pleurait pas, mais il était si petit qu’il avait peine à bouger. 

D’abord, elle s’est fait couler un café. Elle a un peu galéré pour trouver la monnaie dans sa poche avec le marmot qu’elle tenait comme un trésor. Ensuite elle s’est assise, elle a bu longuement, le regard dans le vague… Quinze fois elle a amené son petit gobelet à sa bouche. J’ai compté. Puis elle s’est levée, elle a fait un tour dans la boutique. Elle a regardé les sandwichs, le coin peluches, les magazines. Elle a finalement pris un paquet de chewing-gum, et me l’a apporté en caisse. 

Je lui ai dit « bonsoir ». Elle a fait de même. Elle a lâché un petit sourire, mais très vite son air sérieux a repris le dessus. Je lui ai dit le prix. Elle m’a donné l’argent. J’ai encaissé. Elle allait partir. J’ai dit : « c’est pas bien vieux ça, dites donc ! ». Elle a soupiré. Elle semblait agacée. Elle a répondu : « oui, à peine quelques jours ». Alors j’ai enchaîné : « et vous allez où comme ça ? ». Elle a répondu : « dans le sud, je retrouve mes parents, au revoir ». Et puis plus rien.  

Elle m’a pas reconnu, putain ! J’te jure, elle est partie comme ça, comme si j’étais n’importe qui, n’importe quel gérant de station-service. J’ai changé ok, un peu grossi, peut-être j’sais pas, j’me suis rasé la tête aussi, mais bon… On a passé une nuit ensemble. Et quelle nuit ! Une nuit d’amour extraordinaire, magique. Y’a pas de mots en fait. J’avais passé des semaines à la séduire. Je l’avais repérée sur cette terrasse de café, son regard si mélancolique, la cigarette à la main. J’y ai passé des heures, elle revenait tous les jours, mais elle m’a ignoré des semaines ! Et puis un jour, elle  a daigné me regarder. A la terrasse du café, je me rappelle elle avait dit : « d’accord mais juste une fois ». C’était l’explosion, tu peux pas t’imaginer ! On s’est aimé pendant des heures, toute la nuit. Au petit matin, elle est repartie. Comme ça. Sans rien dire. Enfin si. Je crois qu’elle a dit un truc que j’ai pas compris. Genre : « merci ». Et moi, comme un con, j’ai dit « de rien ». 

Depuis je n’ai pas arrêté de penser à elle. Je la voyais partout, au supermarché, dans l’ascenseur, au parc. Je nous imaginais vivre à deux, faire des crêpes ensembles, se rouler dans un champ de blé… Des trucs que font les amoureux quoi ! Tu vois, je l’aime en fait, cette nana, j’suis comme un con mais je l’aime ! Elle m’a pas reconnu… J’ai eu envie de lui courir après, de lui hurler de rester, mais j’ai rien fait, j’suis resté là comme un idiot derrière mon comptoir, à regarder le néon blafard au-dessus des machines à café… 

-    Et le gosse ? 

-    Cette nuit là, c’était il y a neuf mois…


mardi 5 mai 2015

25, sister !

Parfois, j’imagine tes journées, si éloignées de mon quotidien routinier. Je m’amuse à penser à toi, à supposer ce que tu es entrain de faire. Je te rêve, je t’idéalise un peu sans doute, mais comme c’est un jeu, tout est possible.

Ça commence toujours un peu de la même façon. Tu te réveilles, aux côtés de l’homme que tu aimes. Un peu chagrine et grognon, comme tu l’as toujours été le matin. Tu ouvres la porte, Betty est déjà dans tes pieds, tu manques de trébucher et puis tu râles, pour le principe. Un café. Une tartine. Autre chose. Tes premiers mots échangés avec Anthony, et beaucoup de passion dans votre dialogue.

Et puis après ? Le regard plongé dans ton agenda, déjà tu files vers ton premier rendez-vous. Tantôt chorégraphe, tantôt photographe,tantôt danseuse, tantôt plasticienne… Tu cours à n’en plus finir. A droite, à gauche, à la Factorine, au théâtre, sur le lieu d’un mariage, derrière ton ordinateur.

En fait c’est ça. Je te vois courir. Mais pas comme dans ces images où l’on voit les hommes d’affaire trop stressés qui galopent après le temps. Non, tu cours pour profiter. Pour croquer à pleines dents tout ce que tu entreprends. Tu cours pour trouver des réponses, partout, à toutes tes interrogations, même quand il n’y en a pas. Tu cours. Pour échapper à quoi ? Pour échapper à toi ?

Vingt-cinq ans, ma petite sœur, tu ne l’es plus vraiment. Je rêve de pouvoir encore te protéger, mais je ne fais plus que t’admirer. Devant tes choix. Tes ambitions. Tes rêves. Tu es devenue une femme belle, forte, et ambitieuse, une femme qui croit en la vie, et en l’humanité, malgré toutes ces horreurs que tu ne connais que trop bien. Une femme dont je suis profondément fière, même si je n’y suis absolument pour rien. Une femme, la marraine de mon fils.

Parfois j’imagine tes journées, si éloignées de mon quotidien routinier. Je m’amuse à penser à toi, à supposer ce que tu es en train de faire. Je te rêve. Je t’idéalise un peu sans doute. Mais je sais aussi. Je sais que tu es capable de refouler tes sentiments les plus amers pour ne pas gâcher un moment, que tu peux facilement te mettre en colère quand on doute de tes compétences, je sais que ta vie ne ressemblera peut-être jamais à la mienne, et j’en suis profondément rassurée. Car ta vie va plus loin que le simple horizon. Tu es née pour faire bouger le monde. A ta façon.

Alors sœurette, en ce jour un peu particulier, et avec ce que je sais faire de mieux, je voulais te souhaiter un magnifique anniversaire et te redire combien je t'aime !

vendredi 9 janvier 2015

Bonne nuit hibou...

Ce soir, je lis « bonne nuit hibou » à mon fils. Je regarde ses petites mains s’agiter lorsqu’il faut ouvrir les rabats pour voir quel animal se cache derrière. J’observe son lumineux sourire s’afficher lorsque l’animal en question apparaît. « Bonne nuit cerf, bonne nuit ours »… Tout est calme dans le salon, on entend encore quelques notes de piano, j’ai oublié d’arrêter la musique tout à l’heure. Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre tente difficilement de lutter contre la pluie.

Que fait un homme qui vient de tuer un terroriste, quand il rentre chez lui ? Dépose-t-il sa veste, comme n’importe qui, sur le porte-manteau de l’entrée ? Sert-il très fort sa femme dans ses bras ? Reste-t-il silencieux, prostré, hanté par les images de ce qu’il vient de vivre ? Téléphone-t-il à sa maman, lui raconte-t-il sa journée ? Parle-t-il de son courage ou reste-t-il un héros discret ? Lit-il « bonne nuit hibou » à son fils sur le canapé ?

Les hauts-parleurs se sont tus, au loin une sirène se fait entendre. Je n’aime plus les sirènes. Je n’ai jamais aimé. Elles n’annoncent que trop peu de bonnes nouvelles. Antoine est attentif, et semble demander : « encore une fois l’histoire ! ». Pourtant, il la connaît, nous lui avons cent fois raconté. Il n’y a pas vraiment de suspens, encore moins d’intrigue. Mais ça a l’air de le rassurer. Et moi aussi. « Bonne nuit les canards, bonne nuit les oies… ». Dehors, la flamme de la petite bougie déposée sur le rebord de la fenêtre semble avoir repris un peu de vigueur.

Que fait un homme qui vient d’échapper à une prise d’otages, quand il rentre chez lui ? Donne-t-il un coup de pied rageur au chat qui l’empêche d’entrer sans tomber ? Verse-t-il une larme en observant sa famille ? Prépare-t-il un grand plat de coquillettes avec de la crème ? S’installe-t-il devant la télé, écoute-t-il un bon cd ? Consulte-il ses e.mails ou écrit-il quelques pages ? Raconte-t-il « bonne nuit hibou » à son fils, blottis, sur le canapé ?

Les pages se tournent, bientôt la fin. On la connaît la fin bien sûr, mais on n’a pas vraiment envie d’y arriver. Le soleil va se lever, et il faudra dire « bonne nuit » au hibou, bien caché là, sur la cime de l’arbre. Ce soir je n’ai pas envie de dire « bonne nuit » au hibou. Je n’ai pas envie que tout cela soit vrai. Pourtant il faut bien être là, il faut bien épauler ce si petit garçon qui n’a absolument rien demandé. Alors, on prend son courage à deux mains, et on tourne la page. « Bonjour soleil, bonne nuit hibou »… Dehors, la pluie se calme un peu. Le vent fait vaciller la flamme de la petite bougie sur le rebord de la fenêtre.

Que fait une maman pour border son fils, après ça ? Doit-elle pleurer, doit-elle tout lui expliquer ? Ou lui permettre de garder un peu de son innocence ? Doit-elle lui montrer, le courage des hommes qui ont tout fait pour les en empêcher, ou au contraire ne surtout pas en parler ? Reste-t-elle assise, à attendre que quelqu’un l’aide ? Murmure-t-elle « bonne nuit hibou » à son fils, lovés sur le canapé ? « Tu sais, ce soir, papa ne rentrera pas… »

L’histoire est terminée. Il est temps d’aller se coucher. Bonne nuit mon Antoine, bonne nuit mon amour… Tu verras, le monde est beau, on y fait de magnifiques rencontres, on découvre des personnalités extraordinaires… Ne t’inquiète pas,  le monde est beau, il est de toutes les couleurs, et résonne de tous ces mots, liberté, égalité, fraternité... N’aie pas peur, dort, nous sommes là pour te protéger, et te préparer une vie à la hauteur.

Dehors, la pluie s’est arrêtée. C’est sûr, la flamme continuera à briller.
 

Bénédicte
Charlie